Ne pas confondre multipropriétaires et multipropriétaires...
Requalification des revenus immobiliers en revenus professionnels : l’administration tente une nouvelle offensive.
Avec 15,8 milliards d’euros en 2017, la Belgique se classe 3ième pays le plus taxateur des propriétaires immobiliers d’Europe.
L’Echo a fait récemment état d’une offensive de l’administration des contributions à l’encontre de ceux qu’ils appellent « les multi-propriétaires ». Sont concernés, les propriétaires-bailleurs d’un nombre ‘important’ d’immeubles.
L’informatisation très récente de l’inventaire de l’ensemble des propriétés immobilières de chacun des propriétaires permet à l’administration d’avoir une vue d’ensemble sur l’épargne immobilière de chaque Belge.
Ce n’est un secret pour personne, l’administration des finances travaille de plus en plus avec des algorithmes qui permettent de détecter rapidement tout comportement jugé par elle comme « déviant » de la normalité fiscale.
Ainsi, cela peut paraître curieux qu’au 21ième siècle, la méthode de calcul des surfaces vendues n’est pas uniforme entre les agences immobilières et n’est de plus pas la même à Bruxelles, à Paris ou à Londres.
Ainsi, un propriétaire actif sur plusieurs petits logements cadastrés dans des matrices cadastrales différentes - cela fait nombre - sera plus rapidement suspecté que celui qui possède un seul bien, même si la valeur de ce bien unique est nettement supérieure à celles de l’ensemble des petits logements.
La discrétion a changé de visage : c’est devenu une question d’écran d’ordinateur. Autrefois, la discrétion était garantie par l’anonymat des investissements, garante de la vie privée des propriétaires.
Cet anonymat semble avoir complètement disparu aujourd’hui puisque l’administration possède l’inventaire de tous les actes et la liste de tous les biens immobiliers de tous les propriétaires belges.
Jusqu’aujourd’hui, la différence tenait dans l’interprétation faite pour différencier la gestion normale d’un patrimoine privé (en bon père de famille) d’une gestion qui pourrait être qualifiée de professionnelle.
Certains éléments étaient repris par l’administration pour justifier la requalification des revenus immobiliers en revenus professionnels :
• La valeur et la quantité d’opérations d’achat-vente ;
• La relation du propriétaire avec le milieu de l’immobilier ;
• La méthode et les moyens utilisés (publicité intensive, intervention de spécialistes, le recours à l’emprunt) ;
• La fréquence des opérations d’achat et/ou de vente ;
• L’illégalité de l’acte de vente : si illicite, cela sort nécessairement du cadre d’une ‘gestion normale d’un patrimoine privé’ ;
Si deux de ses critères sont réunis, l’administration a tendance à classer les revenus tirés par le propriétaire non pas comme issu de la jouissance normale d’un patrimoine mais vers un revenu professionnel, imposé différemment.
La preuve de la requalification est entièrement à charge de l’administration ; ce n’est pas au contribuable de démontrer qu’il n’est pas un professionnel de l’investissement immobilier.
En changeant son interprétation (sans changement légal stricto sensu) en qualifiant le simple fait d’être multi-propriétaire comme une situation ‘non-normale’, l’administration va plus loin que son interprétation précédente. Ceci pourrait avoir des effets non désirés.
En essayant de taxer les propriétaires plus lourdement, l’administration fiscale joue avec des allumettes.
Une des particularités du marché immobilier belge est la quantité de ‘petits propriétaires’ mettant des biens sur le marché locatif.
En effet, le Belge a tendance à s’orienter vers l’immobilier pour mettre ses économies en sécurité ce qui restera la tendance tant que la taxation de cet investissement reste simple et facilement compréhensible par des particuliers non-juristes.
Si l’on se compare à nos pays voisins, notre parc locatif comprend beaucoup plus de propriétaires-particuliers et bien moins d’entreprises propriétaires de biens, professionnels de la location. Cela a un effet positif sur les loyers qui ont tendance à rester bien plus stables.
Au contraire, la requalification des revenus immobiliers des ‘multi-propriétaires’ risquerait de refroidir bon nombre de particuliers d’investir dans l’immobilier belge, amenant notre parc locatif à être géré par de plus grosses structures professionnelles, plus organisées pour dégager des bénéfices.
Les particuliers trouveront la note trop salée et chercheront à sortir de ce type d’investissement qui leur cause trop de soucis comptables et fiscaux.
Cette désaffection sera une bien mauvaise nouvelle pour les locataires dans un pays qui verra une diminution de l’offre de logements locatifs, avec un corollaire inévitable : une hausse des loyers.
Par Olivier de Clippele, notaire, vice-président du SNPC-NEMS