La loi de 1988 sur le bail à ferme qui avait pour but de protéger l’agriculteur locataire contre le bailleur a si bien atteint son objectif qu’aujourd’hui, elle ne permet quasi plus aucune manifestation des bailleurs à l’égard de leurs locataires devenus véritablement les « maîtres des lieux ». Au point que les bailleurs demandent une réforme en profondeur de la loi qui ne permette plus les abus observés sur le terrain. L’objectif étant de rétablir la confiance et permettre des relations contractuelles saines entre bailleur et preneur, garantes d’un marché locatif dynamique au service d’une agriculture multiple.

Le contexte :

La Wallonie compte 730.000 ha de surfaces agricoles, détenues par plus de 200.000 propriétaires et dont près de 70% sont louées par les agriculteurs. Les 13.000 exploitations recensées présentent une surface moyenne de 50 à 100 ha.

Le paysage agricole a été profondément métamorphosé en 50 ans : aujourd’hui, contrairement à l’idée reçue des grandes propriétés terriennes, le profil de la propriété privée agricole est un morcellement en de petites propriétés détenues par une multitude de propriétaires détenant en moyenne moins de 2ha, parfois très éloignés de la vie de la campagne.

Les agriculteurs sont souvent propriétaire d’une partie des terres qu’ils exploitent, mais le marché locatif reste un des facteurs clés pour l’accès à la terre, en particulier pour les jeunes qui s’installent, car ils n’ont pas les moyens d’acheter leur terre. En effet, le poids des investissements en matériel agricole est tel qu’il empêche tout autre investissement. Le secteur agricole a donc toujours besoin de son partenaire historique, le bailleur, prêt à apporter un capital sous forme de terre à louer.

Mais aujourd’hui, le sur-protectionnisme de la loi sur le bail à ferme est devenu à ce point toxique qu’il préjudicie de nombreux agriculteurs et donc l’agriculture en général.

Les dérives :

« Si la réforme sur le bail à ferme ne cible pas les vrais problèmes, elle continuera à faire disparaître les exploitations familiales.»

NTF, l’association des propriétaires ruraux de Wallonie, a déjà fait valoir auprès du politique et des syndicats agricoles le problème de la perpétuité du bail à ferme et ce, pour un loyer faible (de l’ordre de 200€/ha par an (moins de 20€/mois !). Mais le problème ne peut se résumer à l’insatisfaction d’un bailleur qui en voudrait toujours plus. Aujourd’hui NTF dénonce les effets pervers d’une loi trop protectionniste et surtout comment les agriculteurs ont appris à la détourner

La grande majorité des bailleurs - enseignants, infirmières, commerçants, ... - ne possèdent que quelques hectares souvent hérités d’un parent. N’ayant plus de lien avec la ruralité, ils ne connaissent souvent rien à la loi sur le bail à ferme qui régit ce type de location très particulier. Et trop d’agriculteurs en profitent pour détourner la loi qui les surprotège :

1. La loi ne permet pas de mettre fin au bail pour vendre ou relouer. Le bailleur ne peut mettre fin que s’il est lui-même agriculteur et encore, seulement tous les 9 ans. L’agriculteur négocie alors âprement ses indemnités de sortie souvent au point de récupérer l’équivalent des loyers perçus pendant le bail.

2. Alors que le preneur ne peut légalement pas sous-louer sans l’autorisation du bailleur, dans les faits, les agriculteurs s’arrangent entre eux moyennant des commissions allant du simple au triple du montant légal du fermage. Certains preneurs n’exploitent plus eux-mêmes les terres louées depuis plusieurs générations : ils sous-louent à d’autres agriculteurs qui doivent acheter leur privilège par un pas de porte, ou à des particuliers prêts à payer pour faire pâturer leurs chevaux ou encore, ils concluent des contrats avec des multinationales qui paient 2000€/ha/an.

3. Le bailleur ne peut pas s’opposer à la transmission du bail vers un repreneur du locataire, qui de surcroit ne doit pas démontrer sa capacité à reprendre la ferme.

4. Le bailleur ne peut jamais savoir qui exploite réellement sa terre

5. Si le bailleur veut vendre, le preneur jouit d’un droit de préemption que souvent il monnaie soit avec le bailleur pour libérer la terre (jusqu’à 40% de la valeur de la terre) soit avec un autre agriculteur qui lui achète le droit de préemption. Et si le bailleur veut vendre en fin de période de 9 ans, le preneur s’empresse souvent de céder les terres à son fils qui est protégé pour une nouvelle période, afin de dissuader les candidats acheteurs.

6. Il n’est pas possible de mettre fin au bail lorsque le preneur atteint l’âge de la pension parce que ce dernier s’arrange pour continuer à être agriculteur d‘un point de vue administratif :  il va jusqu’à créer une société pour lui céder les terres louées sans rien dire au bailleur, ou alors il sous-loue cher à un jeune agriculteur qui n’a pas d’autre choix faute de terres disponibles.

7. Enfin, alors qu’il paraît évident qu’un bail prenne fin par la mort du locataire, le bail à ferme continue après la mort du preneur ! Le bailleur doit parfois attendre des années avant de savoir si un des héritiers ou l’épouse reprendra les terres et constater qu’elles sont entretemps négligées, voire laissées à l’abandon.

Et lorsque bailleur et preneur sont d’accord de signer des clauses contractuelles qui s’écartent de ces impératifs légaux, cela ne vaut rien ! Le preneur peut toujours revenir sur son engagement, un comble pour un agriculteur qui tient tellement à sa parole :

- Il était d’accord de payer plus que le loyer légal ? ll peut sur simple demande être remboursé du trop payé au minimum sur les 5 dernières années.

- Le preneur s’est formellement engagé à libérer la terre à 65 ans ? Il peut rester autant qu’il veut sans même craindre un Juge.

- Si le preneur ne respecte pas ses engagements, le bailleur ne peut pas lui donner préavis : il doit faire valoir ses droits devant la Justice et non seulement apporter les preuves de ce qu’il allègue (prouver la sous-location alors qu’il n’a pas accès à l’information de l’identité de celui qui exploite sa terre) mais en plus, prouver que cette faute ou négligence lui cause un préjudice grave difficilement réparable.

- Le bailleur qui se fait insulter par son preneur au point de rompre la confiance contractuelle, doit démontrer devant le Juge que cela a causé un dommage matériel sur sa terre !

Dans de telles conditions, et pour les quelques hectares dont vous êtes propriétaires, qui prendrait de tels engagements et risquer autant d’ennui, pour une rentabilité aussi faible ? Même les agriculteurs/propriétaires fuient le bail à ferme et font signer des contrats autres que le bail à ferme à leurs locataires pour ne pas être liés à vie par un bail aussi protectionniste.

Pour le dire autrement : ce ne sont pas les bailleurs qui en veulent toujours plus, ce sont d’abord les agriculteurs qui ne veulent pas perdre un moyen de se faire facilement de l’argent.

NTF appelle à la solidarité des propriétaires en rejoignant la cause de l’association et revendique une réforme complète de la loi sur le bail à ferme qui intègre aussi la préservation du capital foncier du bailleur. L’Allemagne et les Pays-Bas ont profondément modernisé leur loi sur le bail à ferme en prévoyant des durées adaptées en fonction du type d’agriculture (en échange d’un loyer allant jusqu’à 500 ou même 750€/ha/an), et ce sans effet négatif sur l’agriculture. Les possibilités d’abus ont été éliminées : par exemples, le droit de préemption du preneur en cas de vente et la cession vers un autre preneur sont supprimés, le préavis se limite à un an au lieu de 4, la sous-location non autorisée par le bailleur entraîne d’office la nullité du contrat, etc... Si ces Etats membres ont modifié leur loi, c’est parce qu’ils ont compris tout l’intérêt de remotiver les propriétaires de terres agricoles à confier leurs terres aux agriculteurs. Il n’y a pas de raison que la Région wallonne n’y arrive pas.

NTF revendique, au nom des bailleurs :

Outre la remotivation des bailleurs par une durée limitée et par des incitants fiscaux pour les baux de longue durée :
- une loi-cadre et non impérative (à l’image du bail commercial)
- un bail écrit obligatoire
- un bail de courte durée pour des cas précis
- un bail de carrière plus accessible en fonction de l’âge du preneur
- la possibilité réelle de mettre fin au bail pour exploitation personnelle
- la possibilité réelle & automatique de mettre fin au bail lorsque le preneur atteint l’âge de la pension
- la fin des sous-locations et des cessions illégales
- l’objectivation de la cession privilégiée vers un vrai agriculteur, à titre principal et diplômé
- la résolution de plein droit dans des cas clairement identifiés de rupture de confiance
- un droit de préemption limité en fonction de l’âge et sans cession
- la suspension de la cession privilégiée en cas de déclaration d’intention de vendre
- la possibilité de négocier des clauses particulières (clauses environnementales)
- la majoration des fermages en fonction de la période du bail de durée de droit commun.

Site internet : www.ntf.be

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