En novembre dernier, l’association des propriétaires ruraux et forestiers de Wallonie - NTF, la Fédération Wallonne de l’Agriculture - FWA et la Fédération des Industries Extractives - FEDIEX ont organisé une conférence sur la problématique des chemins et des sentiers, aux Moulins de Beez. Cet événement, ouvert à tous, fut suivi de deux autres après-midis en décembre et en janvier, témoignant de l’intérêt évident pour cette matière. Plus de 450 inscrits (propriétaires, agriculteurs, promeneurs, associations, communes, géomètres, avocats, etc…) ont pu assister à l’exposé de 4 juristes, et les organisateurs soulignent que nombreux sont ceux qui demandent de nouvelles dates.  Mais pourquoi le sujet ameute-t-il autant de foules du monde rural alors qu’il est a priori bien moins préoccupant que le revenu des agriculteurs ou la revitalisation des villages ?

Par Séverine Van Waeyenberge, conseillère juridique, NTF

Préoccupations modernes

Le mot de bienvenue a lancé le ton par une mise en contexte. La mobilité douce fait partie des défis de la multifonctionnalité du milieu rural. Avec l’urbanisation galopante, la population cherche à prendre de la distance par rapport à l’agitation moderne, que ce soit pour une heure ou un week-end. Alors que les décennies précédentes ont délaissé les chemins, l’ère est aujourd’hui à leur redécouverte. Le terrain n’est cependant pas inoccupé : agriculteurs, exploitants forestiers, carriers y travaillent. Et, le promeneur devient un nouvel utilisateur de ce territoire : il attend que les chemins soient réhabilités et entretenus. L’offre d’un réseau de petites voiries, destiné à de multiples usagers (du promeneur - seul ou en groupe -, cavalier, au cycliste) peut être une aubaine pour l’économie locale. L’idéal serait même d’arriver à dissuader la population de l’usage de la voiture pour rejoindre son école ou son magasin local. Nos autorités publiques ont donc pour rôle d’intégrer ces nouveaux besoins en organisant le territoire et… la compatibilité de ces activités.

Un peu d’histoire

« Tout a commencé lorsque le Parlement de Wallonie a décidé en 2011 de ne plus permettre l’extinction juridique d’un chemin même s’il n’est plus utilisé », annonce d’emblée Anne-Sophie Stenuit, juriste à la Fédération Wallonne de l’Agriculture. En effet, la législation qui était en cours depuis 1841 avait élaboré un mécanisme de création et de suppression de chemins plutôt complexe.

Au sortir de la Révolution française, marquée par la consécration des libertés individuelles, nul ne pouvait désormais se retrouver dépossédé de sa propriété sauf pour raison d’intérêt public et moyennant une juste indemnité. Il fallait néanmoins permettre au peuple, se déplaçant majoritairement à pieds, de rejoindre le village, l’usine, le lavoir. La loi décréta alors que des servitudes pourraient traverser les propriétés sans indemnité ni expropriation mais qu’en cas de non usage, le passage disparaîtrait par lui-même. Il s’agissait de faire l’emprunt d’un passage sur une propriété privée le temps nécessaire au besoin. Les communes devaient veiller à l’entretien et les villageois devaient contribuer à cet entretien. S’ensuivit un recensement mis sur carte, « l’atlas vicinal », de manière à organiser un tant soit peu ces allées et venues toujours dans l’optique de protéger la propriété privée.

En 2011, le politique a donc changé ce principe : plus question que les chemins disparaissent. Mais c’était sans compter qu’en droit, on ne peut pas reprendre ce que l’on a perdu. Or les atlas vicinaux ont été tellement mal tenus à jour qu’il n’est plus possible de dire quelle petite voirie existe toujours bien et où elle passe exactement. Tout était mis en place pour semer la zizanie entre propriétaires et usagers !

En 2014, le Parlement de Wallonie prit dès lors un décret remplaçant la loi désuète de 1841. Désormais, une simplification des procédures et une actualisation des atlas devront être mis en œuvre dans toutes les communes.

Création et suppression de voirie

Frédéric de Visscher, juriste chez Carmeuse, détaille les procédures de création et de suppression de voirie.

Toute personne qui le souhaite peut demander au conseil communal de créer une voirie, de la déplacer, de l’élargir ou de la supprimer. La demande doit être faite au moyen d’un dossier justifiant le projet, une enquête publique doit être organisée (au moyen notamment de panneaux placés tous les 50 mètres), le conseil communal décide d’accepter ou de refuser la demande et, un recours est possible auprès du Gouvernement wallon pour les mécontents. Le tout est rythmé par des délais de rigueur qui garantissent l’obtention de l’autorisation communale à une date déterminée.

En cas de création de voirie, l’achat de gré à gré doit être préféré à l’expropriation mais la possibilité de créer une voirie par la prescription acquisitive trentenaire par le public a été maintenue.

En cas de suppression ou déplacement de voirie, le morceau de terrain devenu sans chemin est proposé à la vente aux riverains, mais après droit de préemption de la Région wallonne à des fins de couloirs écologiques.

En pratique

Séverine Van Waeyenberge, conseillère juridique de l’association NTF, présente ensuite quatre situations auxquelles peut être confronté un propriétaire face à la réouverture potentielle de petites voiries sur son terrain.

Premier cas : le propriétaire pense qu’il n’est pas concerné parce qu’il ne se passe rien sur sa propriété. Il a tout intérêt à se renseigner sur la correspondance entre la situation de terrain (chemins invisibles, inconnus, déplacés, etc.) et la situation de droit (décision communale de suppression de voirie, rachat par le précédent propriétaire, remembrement, prescription extinctive trentenaire). Pour ce faire, il doit commencer par consulter l’atlas vicinal mais, … si cet atlas indique l’emplacement d’un chemin ou sentier vicinal, il n’en détermine pas pour autant son existence juridique ! D’où la nécessité de faire des recherches sur l’évolution juridique de chacune de ces petites voiries. Démarche vivement conseillée, un dossier de preuves (photo, documents, constat d’huissier, etc.) lui permettra d’agir le jour où on viendra rouvrir les chemins.

Seconde situation, la plus courante pour le moment : un ou des usagers apparaissent sur des prétendus chemins, arguant qu’ils sont repris à l’atlas vicinal ou sur une carte quelconque. Le réflexe doit être le même : comparer la situation de fait avec la situation de droit pour tenter de savoir si le chemin existe encore ou non. Car, si la loi prévoit maintenant que les chemins ne puissent plus disparaître, elle ne peut pas avoir pour effet de faire renaître les chemins qui ont disparu par le non usage pendant 30 ans (prescription extinctive) et ce, même sans décision de justice (qui ne fait que constater une situation de droit éteinte ou non). Pour le dire autrement, on n’a pas besoin d’un acte de décès pour mourir.

Un autre point de discussion délicat est la création de servitude par l’usage par le public pendant 30 ans. Peu savent que, dans ce cas, c’est aux usagers ou à la commune de faire la preuve du passage par le public, sans que le propriétaire ne se soit opposé à ce passage.

Troisième situation : la commune souhaite rouvrir un chemin. Dans ce cas, - faut-il préciser que la commune ne peut pas dire le droit à la place de la Justice -, elle devra faire le même exercice de comparaison entre la situation de droit et de fait, sans oublier qu’elle aura besoin d’un permis d’urbanisme pour aménager une voirie.

Enfin, le propriétaire qui souhaite avoir le cœur net en demandant la suppression officielle d’un chemin, qu’il existe encore juridiquement ou non, se risque à un refus de la commune et à la renonciation implicite d’une prescription extinctive.
Et de conclure que l’actualisation devra se faire avec une vigilance juridique objective de manière à discriminer ce qui existe encore de ce qui ne l’est plus et que des alternatives telles que la servitude conventionnelle ont été prévues par le décret (à la demande des 3 associations organisatrices).

Du côté des communes

L’Union des Villes et des Communes de Wallonie a été invitée à exprimer son point de vue, par l’intermédiaire de Ambre Vassart, quatrième juriste de l’après-midi. Si la commune peut créer des voiries, elle ne peut en revanche faire fi de l’acquisition ultérieure de la propriété ou de la servitude lorsqu’elle n’est pas propriétaire du terrain. En cas de doute sur le statut juridique d’un chemin vicinal ou d’un chemin créé par l’usage (chemin innommé), la commune prendra garde de ne pas conclure trop vite au caractère public d’une voirie étant donné que seuls les Cours et Tribunaux peuvent trancher des conflits de droit civil.

Les communes ne doivent pas non plus négliger leur obligation d’entretien des voiries communales tel que l’enlèvement des déchets (qui ont un coût certain) et veiller à la sécurité des usagers. Elles ont également la responsabilité de surveiller et constater les infractions telles que les obstacles et entraves non autorisés à la circulation. Pour les communes, l’actualisation des atlas sera certainement une étape longue, lourde, coûteuse, sans compter les conflits qu’il faudra résoudre. Une aide extérieure sera donc probablement nécessaire.

Le Ministre de l’Aménagement du Territoire et de la Mobilité

Les conférences ne pouvaient se tenir sans l’interpellation des responsables politiques régionaux. Le Ministre C. Di Antonio, en charge du dossier, n’a pas hésité à assurer sa représentation lors de chaque séance, preuve de sa préoccupation. Ceci souligne l’intérêt public d’assurer la circulation des usagers par tous les moyens possibles, tout en respectant la propriété privée.

L’actualisation des atlas sera un moment important dans l’Histoire du domaine public étant donné que ce travail n’a plus été réalisé depuis plus de … 120 ans. Pour préparer cette étape, 17 communes-pilotes ont été désignées afin de mettre en place une méthodologie efficace qui servira ensuite à l’ensemble des communes. Il s’agit des communes de Dour/Quiévrain, Ohey/Assesse/Gesves, Estinnes/Erquelinnes, Durbuy/Ouffet, Sambreville/Jemeppe-sur-Sambre, la province de Luxembourg/Arlon, Lontzen/La Calamine, Verviers, Ottignies/Louvain-la-Neuve. La numérisation des atlas, via notamment les services techniques provinciaux, est également déjà en cours afin de mettre à disposition du public des outils faciles, lisibles et accessibles.

Conclusion par les organisateurs

L’objectif délibéré des 3 associations organisatrices était aussi de donner un message aux autorités publiques, aux associations de défense de la petite voirie et aux professionnels.

La matière n’est pas simple, mais elle n’exempte pas de l’obligation de respecter les règles de droit. Ces règles doivent être connues et maîtrisées objectivement par les responsables et professionnels et diffusées telle quelles auprès du grand public. Cette précaution est indispensable pour atteindre l’objectif de remettre en œuvre un réseau wallon de la petite voirie.

L’actualisation des atlas est la seule méthode permettant de garantir la sécurité juridique de ce réseau à long terme et cette actualisation doit inclure la participation des principaux concernés, c’est-à-dire les propriétaires et gestionnaires de terres agricoles, de forêts ou de jardins, de manière à limiter les conflits qui seront (et sont déjà) incontestablement provoqués.

                                  ***************************************************************************************************

Gestionnaires et propriétaires de terres agricoles ou de bois, préservez vos droits !
NTF vous propose des panneaux « Propriété et voirie privées »

NTF est l’association des propriétaires de terres agricoles, de bois et d’espaces naturels situés en Wallonie, dont elle défend les intérêts.

Si vous êtes propriétaire de terres agricoles ou de bois, vous avez peut-être vu apparaître des traces de passage par des tiers en dehors des chemins publics officiels ou sur des chemins privés existant sur votre bien ? Sachez que si vous ne réagissez pas, vous risquez de vous voir opposer après 30 ans d’usage par le public la prescription acquisitive d’une voirie publique.  Pratiquement, cela signifie que votre chemin, sentier ou toute voirie privée sur votre bien pourrait par ce fait devenir public.

Que faire pour se prémunir de ce risque ?

Si votre bien n’est pas parcouru par un chemin officiellement public, vous pouvez vous opposer à ce que des personnes non invitées circulent sur votre propriété privée ou en dehors du tracé officiel d’un chemin public.

Afficher clairement votre désaccord quant au passage de personnes sur votre voirie privée est un acte essentiel qui pourra, le cas échéant, être retenu comme preuve au civil qu’une voirie publique n’a pu être créée par un usage trentenaire.

Comment procéder en pratique ?

1. NTF recommande de matérialiser le caractère privé de sa propriété et de ses voiries privées (non grevées de servitude) par la pose de barrières et de panneaux d’interdiction de passage
2. Vous pouvez également, dans un but de démarche constructive, autoriser ou tolérer le passage sur une de vos voiries privées, en l’identifiant au moyen d’un panneau ‘Passage toléré par le propriétaire’.

Tant les panneaux d’interdiction que de tolérance permettent d’empêcher la prescription acquisitive d’une voirie publique.

En pratique : NTF a organisé une commande groupée de panneaux bilingues FR-NL.

Pour toute information et commande :

* Voir le site de NTF :  http://ntf.be/panneaux-propriete-et-voirie-privees-bon-de-commande

* Sylvie EYBEN : 081/26 35 83, info@ntf.be