Par Pierre Rousseaux, avocat, Président du SNCP-NEMS Charleroi

Cette question qui se rencontre fréquemment, à tout le moins à notre connaissance, n’a pas fait l’objet d’une jurisprudence abondante. Et pourtant, ses implications sont importantes.

Le contexte : illustration

Monsieur et Madame X, après construction consécutive à une promotion immobilière, acquièrent un appartement.

Le règlement de copropriété applicable prévoit que le premier mandat de syndic est conféré au promoteur ou à sa société ou, plus habilement peut-être, à une société tierce dans laquelle il détient une part importante des actions.

Il est vrai qu’en vertu de l’article 577/8, § 1er, si le syndic a été désigné dans le règlement de copropriété, son mandat expire de plein droit lors de la première Assemblée Générale.

Mais il n’est pas rare de voir ce mandat confirmé et rien ne nous apparaît, à première vue, faire obstacle à une telle prolongation.

Toutefois, cela peut générer de nombreuses difficultés.

Comme la vente de l’ensemble des appartements prend un certain temps, on peut imaginer que, pendant plusieurs exercices, la société du promoteur (ou sa société sœur) reste « maître à bord » puisqu’il peut aussi détenir la majorité des quotités et, par cette majorité, veiller à garder le poste de syndic pour administrer cette copropriété.

Mais voilà que Monsieur et Madame X constatent que, dans le bien acquis, il existe certains vices et que la réception provisoire des parties communes, dont devrait se charger le syndic, tarde.

Ils relèvent en outre que, dans ces parties, il n’y a pas respect de tous les points prévus au cahier des charges.

Le syndic auquel une demande de mise à l’ordre du jour de l’AG est formulée pour les points en litige, ne réagit pas ou, si ce point parvient à être mis à l’ordre du jour, veille à user de son influence pour retarder constamment la prise de décision.

Et ces propriétaires lésés qui entendent voir l’ACP, gardienne des parties communes, voter pour une éventuelle action judiciaire contre le promoteur, ne parviennent pas à faire reconnaître leur point de vue alors que les bases juridiques de leur action peuvent être solides.

Rappel des principes

Faut-il rappeler qu’il résulte de l’existence d’un contrat de promotion des conséquences quant à l’obligation de résultat.

« Le contrat de promotion implique que le promoteur promette à son cocontractant la réalisation d’un ouvrage impliquant dans son chef une obligation de résultat qui ne s’identifie pas aux obligations résultant de la responsabilité décennale des constructions relatives aux contrats d’entreprise. Dans les contrats de promotion véritable, le promoteur débarrasse son cocontractant des obligations incombant au maître de l’ouvrage (acceptation de réception provisoire) puisqu’il assume cette fonction et promet à son cocontractant une obligation de résultat, ... » (CUP, Contrat d’Entreprise et Droits de la Construction, Volume 63, p. 295 et jurisprudence citée).

« Quelle que soit la forme que la promotion peut prendre (promotion-vente, promotion-construction, promotion-organisation), l’obligation pour le promoteur de mettre à la disposition de son client l’ouvrage promis dans le délai promis est considérée par la jurisprudence unanime comme obligation de résultat » (Liège, 15 mai 2009, cité in cass., 21/10/2010, J.L.M.B., 11/702, Pas., p.2735).

Mais, pour les parties communes, ces propriétaires lésés doivent agir via l’ACP et il est à craindre que si le syndic est le promoteur ou une émanation du promoteur, le processus décisionnel soit à tout le moins entravé.

Il est vrai que notre législation, pour éviter une influence trop grande du syndic, a prévu certains « gardefous ».

Ainsi, le syndic ne peut intervenir comme mandataire d’un copropriétaire à l’assemblée générale, mais il garde le droit, s’il est copropriétaire, de participer à ce titre aux délibérations de l’assemblée (Article 577/6, § 7).

On pourrait même imaginer, si ce n’est pas le promoteur ou son émanation qui est syndic, que la détention par lui de quotités majoritaires (s’il reste encore propriétaire de nombreux appartements à vendre), ne permette pas qu’une décision d’agir soit prise contre lui.

S’il est vrai que, sous l’article 577/6, § 7, il est également prévu l’impossibilité de prendre part au vote pour un nombre de voix supérieur à la somme des voix dont disposent les autres copropriétaires présents ou représentés, il n’en reste pas moins qu’il sera difficile d’obtenir un vote pour une action judiciaire contre le promoteur.

Il est aussi exact qu’en vertu de l’article 577/6, § 9, aucune personne prestant pour l’Association des Copropriétaires des services dans le cadre de tout autre contrat, ne peut participer personnellement ou par procuration aux délibérations et aux votes relatifs à la mission qui lui a été confiée.

Mais, ce garde-fou, de nouveau, ne nous apparaît pas suffisant.

Cette restriction dans le vote pourrait être levée par le syndic promoteur ou par le copropriétaire-promoteur majoritaire en relevant que le contrat qu’il avait conclu antérieurement pour la construction de l’immeuble construit est terminé et que partant, ce contrat ne le présente plus « prestant des services » encore pour l’Association des Copropriétaires.

Ecarter le promoteur du vote

Or, il nous apparaît nécessaire et légitime de pouvoir écarter le promoteur du droit au vote relatif à une action éventuelle contre lui, qu’il soit syndic ou copropriétaire majoritaire.

S’il est syndic et qu’il s’accroche, n’y a-t-il pas alors lieu de considérer qu’il serait possible pour les copropriétaires préjudiciés ne pouvant obtenir de l’ACP une décision d’action judiciaire, de brandir l’article 577/8, § 7 relevant qu’il y a « empêchement » du syndic vu le conflit d’intérêts ?

Et si le promoteur n’est pas ou n’est plus en place dans le poste de syndic (directement ou indirectement), mais si celui-ci, suite à sa qualité de propriétaire d’appartements encore conservés par lui jusqu’à la revente, détient la majorité des quotités, ne serait-il pas légitime de considérer, même si le contrat de promotion est considéré comme expiré, qu’il n’a pas le droit de prendre part au vote ?

Ne pourrait-il pas ainsi être ajouté à l’article 577/6, § 9 une phrase semblable à celle-ci :

« Toute personne ayant participé de quelque manière que ce soit à la construction de l’immeuble, objet de la copropriété, sera privée du droit de vote pendant une durée de 10 ans, pour la délibération portant sur les travaux réalisés par elle et susceptibles de justifier une mise en cause de sa responsabilité ».

Dans le cadre de la réforme de notre droit de la copropriété, il nous apparaît que cette réflexion doit être poursuivie dans l’intérêt de tous.