Bailleurs et preneurs sont-ils liés à vie ou quasiment ?
La réponse est nuancée et nous aborderons ci-après quelques possibilités de rupture.


La loi

Notre vieille loi sur les baux commerciaux, dont on envisage la modification depuis qu’elle a été votée en 1951, reste d’application.

Elle n’a pratiquement pas changé depuis sa naissance, sauf que la possibilité de renouvellement a été modifiée pour faire en sorte qu’un bail commercial puisse durer 36 ans. C’est la règle actuelle, adoptée – et ce n’est pas une coïncidence – en 1970 pour éviter aux preneurs l’échéance fatidique des 27 années quand ils avaient contracté un bail peu après le vote de la loi. Beaucoup d’observateurs croyaient, et les bailleurs craignaient, qu’après 36 ans une nouvelle loi intervienne pour prolonger le bail jusqu’à 45 ans.

Il n’en fût rien.

La philosophie de la loi des baux commerciaux

C’est une loi protectrice du fonds de commerce, donc du locataire, car le fonds de commerce constitue, avec le droit au bail qui y est attaché, la valeur principale de tout commerce.

Bien que la nature des commerces a profondément changé en près de 70 ans, c’est toujours la loi de 1951 qui s’applique, exception faite des baux de circonstance pour les magasins qu’on appelle communément « pop-up stores ».

Ce type de bail, assez nouveau, a déjà été commenté dans nos colonnes et nous n’y reviendrons pas dans le présent article.

Dispositions impératives et supplétives de la loi de 1951

La loi contient des dispositions impératives, en ce sens que les parties ne peuvent convenir du contraire et que, même si elles le font en toute connaissance de cause, la partie qui s’en plaint pourra faire annuler de telles clauses par le juge. Il en est notamment ainsi pour la possibilité laissée au bailleur de mettre fin au bail au cours de celui-ci, sauf dans des conditions précisées par la loi, d’ailleurs peu nombreuses.

Possibilité de refuser le renouvellement du bail

Rappelons qu’un bail commercial est en principe de 9 ans, mais peut aussi être de 18, de 27 ou 36 ans, dès la signature du premier bail.

C’est tout à fait valable, mais ce type de bail de longue durée doit être passé par acte authentique, c’est-à-dire par acte notarié, de façon à être opposable aux tiers.

Prenons cependant l’hypothèse la plus fréquente de la fin éventuelle d’un bail après 9 ans, par suite du refus opposé au renouvellement demandé par le preneur.

Nous supposons que le renouvellement est demandé dans les formes et délais légaux.

La forme est précisée par la loi, de même que le délai qui, curieusement, se situe entre le 15ème et le 18ème mois avant l’échéance du bail.

Que dit la loi ?

L’article 16 de la loi, assez long, raison pour laquelle il ne sera pas repris intégralement dans le présent article, permet au bailleur un refus pour :

1. L’occupation personnelle
2. L’affectation à une destination exclusive de toute entreprise commerciale
3. La volonté de reconstruire l’immeuble
4. Tout manquement grave du preneur aux obligations qui découlent du bail en cours
5. L’offre d’un loyer supérieur par un autre candidat
6. L’absence d’intérêt légitime au renouvellement dans le chef du preneur

Tous ces motifs sont détaillés dans la loi et la jurisprudence les a interprétés abondamment, parfois de façon évolutive d’ailleurs.

Un bailleur peut néanmoins toujours refuser sans motif le renouvellement du bail, mais en payant au locataire une indemnité d’éviction « égale à 3 années de loyer, majorée éventuellement des sommes suffisantes pour assurer la réparation intégrale du préjudice causé (au preneur) ».

Que peut coûter au bailleur son refus de renouvellement

La matière est traitée à l’article 17 de la loi et est très complexe.

Des livres entiers ont été consacrés rien qu’à l’indemnité d’éviction due au preneur.

Nous ne pouvons évidemment prévoir tous les cas, mais tout bailleur doit savoir qu’il n’y a que très peu de cas où il peut refuser le renouvellement du bail sans bourse délier. Il s’agit notamment du refus de renouvellement pour occupation personnelle, soit à titre privé, soit pour une activité commerciale pour autant qu’elle soit différente de celle du preneur évincé.

Formalisme de la loi

La loi sur les baux commerciaux est d’un formalisme désuet, que la Cour de cassation a toujours confirmé, de façon très stricte d’ailleurs. Dans cette matière, il est important, si pas indispensable, de consulter un avocat spécialisé car la loi est à plusieurs égards aux antipodes de la logique.

D’ailleurs, la matière du bail commercial représente une assez importante partie de l’intervention des assurances responsabilité civile des avocats qui s’y frottent en croyant qu’il suffit d’appliquer les règles générales de droit ou de la location. Il en est plus spécialement ainsi des délais et des courriers à envoyer par bailleur et preneur à l’occasion, notamment et surtout, de la procédure de renouvellement de bail.

A la moindre erreur, le but recherché par l’une ou l’autre des parties ne sera pas atteint, en ce sens que le locataire perdra son droit au renouvellement et, en ce qui concerne le bailleur, il se verra imposer un renouvellement, alors qu’il n’en voulait en aucun cas.

Les perspectives

Depuis les lois de régionalisation du bail, la modification de la loi sur les baux commerciaux est plus probable qu’avant. Il risque d’ailleurs d’y avoir, si la loi de 1951 est abrogée pour être remplacée par des dispositions régionales, des différences fort importantes entre les 3 régions du pays, sans qu’on puisse dès à présent les prévoir.

Il sera temps d’y revenir quand cela se présentera.

La rupture du bail aux torts d’une des parties

Le bail est un contrat entraînant des obligations de part et d’autre, puisqu’il s’agit d’un contrat synallagmatique (ou bilatéral). Par conséquent, si une des parties manque gravement à ses obligations, l’autre partie pourra demander au juge de prononcer la résolution du bail aux torts de la partie défaillante, avec paiement d’indemnités.

Le cas le plus fréquent est l’absence de paiement de loyer. S’il est persistant, le juge prononcera la résolution, parfois conditionnelle, du bail, de même d’ailleurs pour un locataire qui mettrait en péril grave le bien qui lui est confié.

Conclusion

Le bail commercial ressemble à certains égards au mariage qui, d’après les anciennes conceptions, engage les parties pour la vie, mais avec des possibilités pour chacune d’elle d’y mettre fin dans des conditions légalement prévues, même contre la volonté de l’autre partie.

Par Alfred DEVREUX, Avocat au Barreau de Bruxelles, Ancien Président du SNPC-NEMS

 

Date : 
12/10/2019