Crise profonde au sein d’une copropriété : quelles pistes pour en sortir ?
Au sein des Copropriétés, comme au sein des couples, des crises graves peuvent survenir.
Certes, il existe une différence de taille entre ces deux cas. Le couple est constitué de deux personnes alors que la Copropriété est habituellement composée d’un nombre supérieur et la loi, par le biais des majorités prévues lors de décisions à prendre, majorité distincte en fonction des points soumis au vote, doit naturellement permettre de régler le litige entre copropriétaires.
Hélas, il peut y avoir des situations apparaissant inextricables avec des blocages décisionnels.
Nous évoquerons deux exemples précis et nous verrons que la nouvelle loi adoptée le 13 juin 2018 et entrée en vigueur le 1er janvier 2019 peut aider les copropriétaires.
PREMIER EXEMPLE
Dans une Copropriété composée de 70 appartements, un concierge exécute son travail de manière minimale et rentre en conflit ouvert avec le syndic.
Celui-ci estime légitime que ce concierge remplisse certaines tâches mais ce dernier refuse et s’appuie sur un contrat limitant ses heures de prestations et donnant un descriptif très vague de sa fonction.
L’entretien et la propreté de cet immeuble de haut standing est alors mis à mal et les copropriétaires ne savent plus que faire.
Alors, vu le conflit aigu entre les deux personnes (syndic et concierge), un choix doit être posé :
> Soit voter pour un licenciement du concierge avec une indemnité de préavis importante et aussi la nécessité de lui laisser le temps utile pour quiter la conciergerie.
Dans ce cas, le risque qui se présente, si le vote ne permet pas le licenciement, c’est de voir augmenter encore la tension avec une possible représailles « indirecte » du concierge, personnage clé dans la vie de l’immeuble.
Celui-ci risquerait alors de faire preuve de mauvaise volonté, de en pas nettoyer correctement les communs à proximité des entités privatives des copropriétaires ayant voté pour son licenciement, etc…
> Soit, puisque le syndic a clairement exprimé qu’il ne pouvait continuer son mandat dans des conditions semblables, mettre fin au contrat avec le syndic (dont la gestion financière ne suscite aucune critique) les risques possibles de voir le syndic agir contre la Copropriété dans le cadre d’une action judiciaire ultérieure n’étant pas exclus.
Deux clans risquent de se former ainsi dans l’immeuble et faire débattre ce sujet en Assemblée Générale, risque de voir la tension atteindre son paroxysme.
Dans de tels cas, il peut être utile de chercher une voie permettant à un tiers extérieur à la Copropriété d’exercer une mission susceptible de régler le différend.
L’article 577/9 §1er – 1 nous apparaît être un outil utile.
Rappelons le texte :
« Si l’équilibre financier de la Copropriété est gravement compromis ou si l’Association des Copropriétaires est dans l’impossibilité d’assurer la conservation de l’immeuble ou sa conformité aux obligations légales, le syndic ou un ou plusieurs copropriétaires qui possèdent au moins 1/5ème des quotes-parts dans les parties communes peuvent saisir le Juge pour faire désigner un ou plusieurs administrateurs provisoires aux frais de l’Association des Copropriétaires qui, pour les missions attribuées par le Juge, se substituent aux organes de l’Association des Copropriétaires ».
Les conditions d’application de ce texte sont particulièrement générales.
Elles prévoient tant une atteinte à l’équilibre financier qu’une impossibilité d’assurer la conservation de l’immeuble ou sa conformité aux obligations légales.
Dans l’exemple prédécrit, il est certain que si le concierge ne permet pas l’exécution correcte de tâches telles que la réalisation de certains travaux d’entretien ou de nettoyage du bien, il y aura à long terme un risque de détérioration de
l’immeuble susceptible de justifier l’application de cet article.
Mais ce qui nous apparaît extrêmement intéressant dans l’analyse de ces dispositions, c’est le fait que les missions « attribuées par le Juge » peuvent être ciblées et, partant, bien définies.
L’administrateur provisoire « peut se substituer aux organes de l’Association des Copropriétaires » pour des tâches spécifiques, sans pour autant, pour les tâches non définies, empiéter sur les compétences de l’Assemblée Générale et du syndic toujours en fonction.
Ainsi, dans le cas prédécrit, le Juge de Paix, pour éviter une augmentation de cette tension par la naissance de deux clans, l’un pour conserver le concierge, l’autre pour démettre le concierge et conserver le syndic, pourrait inviter l’administrateur provisoire à interroger distinctement et sous le couvert de l’anonymat, chacun des copropriétaires.
Le Juge de Paix pourrait ultérieurement inviter l’administrateur provisoire à déposer un rapport qui, ainsi rédigé par un tiers impartial au-delà de la mêlée, pourrait permettre à l’Assemblée Générale de faire le choix utile lors du vote à intervenir sans qu’il n’y ait de confrontation directe.
Dans ce cas, la sphère d’intervention de l’administrateur provisoire est ainsi très limitée et « il administre » exclusivement pour un point bien déterminé.
Ultérieurement, si des recours judiciaires sont introduits sur base de la décision rendue par l’A.G. après dépôt du rapport, ces recours pourraient difficilement être fondés sur un abus de droit puisque la décision rendue par ladite A.G. est la résultante d’un examen préalable consigné dans un rapport d’un tiers nanti d’une mission fixée par le Tribunal.
Le législateur a permis la saisine du Juge de Paix, soit par le syndic, soit par un plusieurs copropriétaires qui possèdent au moins 1/5ème des quotes-parts dans les parties communes.
Dès qu’une situation de crise se présente et dès qu’il est craint que les organes de l’A.C.P. ne pourront les résoudre, le syndic peut, seul, prendre l’initiative de déposer cette requête qui est une requête unilatérale (ce qui rend nécessaire la signature d’un avocat pour le dépôt de celle-ci).
Cette requête ne doit pas être notifiée à tous les copropriétaires et le Juge de Paix peut statuer dans de brefs délais.
Si le syndic ne prend pas cette initiative alors que la crise est profonde, 1/5ème des copropriétaires peut alors faire le nécessaire mais il nous semble plus adéquat de voir le syndic « à la manœuvre » dans des cas semblables car sa fonction d’exécutif de l’Assemblée Générale se voit contrarié par cette crise qui ne peut être résolue.
DEUXIÈME EXEMPLE
Un bloc à appartements menace ruine.
L’Assemblée Générale, à une majorité très significative, a fait choix de ne pas entreprendre des travaux de rénovation.
En effet, vu la situation exceptionnelle du bien, un promoteur propose, après démolition de celui-ci, une nouvelle construction (avec deux étages supplémentaires et des garages en sous-sol pour assurer la rentabilité de son projet).
Il s’engage, à l’égard de chaque copropriétaire, à échanger un ancien appartement contre un nouvel appartement.
Tous marquent accord mais un des huit copropriétaires, sans avoir exprimé son refus sur le principe de l’échange avantageux, croit pouvoir, au dernier moment, « faire cavalier seul » et refuse de signer l’acte qui lui est proposé.
Il essaie de jouer « au stratège » et veut ainsi être le dernier « à céder » par rapport à de nouvelles exigences.
Ainsi, sans l’avoir exprimé aux autres copropriétaires, il soumet son acceptation à la signature de l’acte, signature indispensable pour réalisation du projet puisqu’il est touché à une partie privative, à une condition supplémentaire : l’octroi d’un garage.
Il croit pouvoir ainsi exercer une pression optimale, d’autant que le délai avant la péremption du permis déjà obtenu vienne à expiration dans les deux mois.
L’échec du projet de démolition-reconstruction, puisqu’il a été antérieurement voté le refus d’entreprendre des travaux de rénovation, va porter atteinte à l’équilibre financier de la Copropriété et à la conservation de l’immeuble par cette démolition devant être suivie de reconstruction.
Mais le promoteur, avec une certaine logique, n’entend pas céder à ce qui apparaît être « un chantage » et désire rester dans une approche égalitaire pour tous les copropriétaires.
Voilà donc le syndic, gardien des parties communes, ne pouvant continuer à exercer sa mission.
Les organes de l’Association des Copropriétaires sont alors paralysés et c’est le blocage.
A nouveau, l’article 577/9 §1er - 1 de la loi nouvelle peut être utile.
Il peut être imaginé que le Juge, à la demande du syndic, procède à la désignation d’un administrateur provisoire avec une mission spécifique libellée comme suit :
« Après avoir entendu le seul copropriétaire, non signataire de la convention, rédiger un rapport à déposer auprès de la Justice de Paix sur les raisons de son refus de signature ».
Ce rapport (comme dans l’exemple précédent) rédigé par un tiers mettra toutes les parties au courant de la stratégie suivie par un seul.
Certes, ce tiers, avant dépôt de son rapport, veillera vraisemblablement à concilier les parties. Toutefois, en cas d’échec, ce rapport sera un outil utile.
Des copropriétaires préjudiciés par cette impossibilité de bénéficier d’un nouvel appartement dans le cadre de l’échange peuvent alors envisager de disposer d’un outil (rapport de cet administrateur provisoire) pour utilement argumenter sur l’abus de droit.
A nouveau, l’administrateur provisoire, sans décharger les autres organes de la Copropriété de leur mission naturelle, et nanti d’ un mandat judiciaire très limité, pourra aider utilement la Copropriété.
CONCLUSION
Nous pourrions multiplier les exemples de situation de blocage avec péril pour la survie de la Copropriété.
Ce qu’il faut retenir de l’utilisation de l’article 577/9 §1er – 1, c’est que notre législateur a prévu que, lorsque les organes de l’Association des Copropriétaires sont dans l’incapacité de résoudre des crises profondes par le mécanisme des majorités, il existe une piste ultime : avoir recours à un tiers.
Par Pierre ROUSSEAUX, avocat, Président du SNPC-NEMS CHARLEROI